Nous remarquons avec plaisir que notre lectorat fait preuve d'une intelligence et d'un regard critique que la rareté des commentaires nous avait poussés à croire tout bonnement absents.
Nous faisons ici référence à un commentaire de Philippe (le jeune) qui fait fort justement remarquer que l'étude sur la restriction calorique dont nous avions narré les résultats pourrait être quelque peu biaisée. Le problème soulevé par Philippe n'est autre que celui du témoin négatif.
Ce
témoin négatif est un élément indispensable de la méthode scientifique. C'est l'étalon vis-à-vis duquel les effets d'un traitement peuvent être jaugés. Dans le cas de nos macaques, les auteurs ont divisé les animaux en deux groupes,
a priori identiques en tous points. Ils ont soumis un des deux groupes à un régime drastique, la restriction calorique. L'autre groupe, le témoin négatif, donc, a été laissé en présence de nourriture à profusion, tant et si bien que les macaques mangeaient comme bon leur semblait. C'est le choix de ce témoin négatif qui chiffonne notre lecteur besogneux : plus que les effets bénéfiques d'un régime hypocalorique, ce que révélerait cette étude pourrait n'être que les effets désastreux d'un régime orgiaque.
Philippe aurait donc aimé voir un groupe témoin dans lequel les macaques auraient été nourris de façon mesurée, recevant exactement leur quota calorique, ni plus, ni moins. Malheureusement, les auteurs de l'article ne l'ont pas fait. Et comme leur expérience dure depuis 20 ans, personne ne leur a demandé de recommencer en étant un peu plus précautionneux. Reste à savoir néanmoins si, comme le suppose Philippe, les macaques ont tendance à se goinfrer quand il y a profusion, ou bien s'ils sont naturellement raisonnables et s'auto-régulent. Notre connaissance des macaques ne nous permet malheureusement pas de répondre à cette question ; tout au plus peut-on espérer que les scientifiques auteurs de l'étude et les relecteurs de cet article savent ce qu'ils font.
Bref, Philippe a donc relevé une raison potentiellement valable de nuancer les conclusions de l'article. Il n'en reste pas moins que depuis quelques années, de nombreux articles concluent à l'effet positif de la restriction calorique sur plusieurs paramètres, tels que la masse graisseuse (normal), le diabète, le cholesterol, le taux moyen d'inflammation, les capacités de mémorisation, et ce dans plusieurs espèces d'animaux, et notamment chez les mammifères.
Par exemple, cet article, dans PNAS (
http://tinyurl.com/l77wjn), qui a testé les capacités mémorielles d'humains de plus de 60 ans. Pour ce faire, les auteurs ont pris 50 individus, qu'ils ont répartis en trois groupes, un groupe témoin, qu'on a laissé vivre sa vie, un groupe qu'on a soumis à la surveillance d'un diététicien et que l'on a soumis à un régime enrichi en graisses non saturées supposées être meilleures pour la santé, et un groupe soumis à de la restriction calorique. En l'occurence, ici, restriction calorique signifiait "30% de moins que ce que les individus engloutissaient auparavant". Les capacités mémorielles ont été testées avant le changement de régime et après le changement de régime, au bout de 3 mois. Le test consistait à essayer de se remémorer une liste de 15 mots qui leurs avaient été présentés une demie-heure plus tôt.
La conclusion de cette dernière étude est que seul le groupe soumis à la restriction calorique montre une amélioration significative de ses capacités mémorielles. Le groupe témoin ainsi que le groupe soumis au régime enrichi en acides gras insaturés n'ont montré aucune différence avant et après les 3 mois du régime.
Très clairement cette étude est elle-aussi sujette à de nombreuses limitations : seuls trois types de régimes ont été testés, il est possible que les individus en "restriction calorique" se soient simplement mis à manger un aliment qu'ils ne mangeaient pas auparavant, ou au contraire aient cessé de manger un aliment qu'auparavant tous mangeaient occasionnellement (au hasard : les frites). En outre, il existe peut-être d'autres régimes qui pourraient avoir des résultats encore plus spectaculaires ; au hasard, par exemple, une cure de frites. Ceci n'a pas été testé à notre connaissance, et reste donc une question ouverte. Enfin, qui sait ce qui se passe si on met des humains en restriction calorique pendant 20 ans ? Peut-être sont ils plus sensibles à l'ostéoporose, ou bien peut-être montrent-ils des taux de suicide étonnament hauts. Personne ne l'a testé, faute de temps, entre autre.
Ce que nous retenons des nombreuses études sur le sujet que nous avons parcourues sans les lire sérieusement, c'est qu'apparemment la restriction calorique marche pour améliorer divers paramètres physiologiques et l'espérance de vie dans de nombreuses espèces. Ce qu'on ne sait pas, c'est si les souris soumises à la restriction calorique sont dépressives, ont perdu tout plaisir à aller à l'opéra, ou sont moins résistantes aux infections bactériennes, par exemple. Bref, la restriction calorique, ça a l'air étonnamment efficace, et donc c'est intéressant, mais de nombreuses études restent à effectuer. Le principal soucis est que faire des études sur l'humain, ça prend du temps... Si vous en êtes vraiment friands, nous vous tiendrons au courant des progrès de la science sur ces sujets.
Enfin, pour clore le sujet, ce qui nous amuse beaucoup, c'est de se dire qu'on ne sait pas encore ce qu'il convient de manger pour maximiser sa santé et/ou son espérance de vie, et ce en dépit du fait que nous passons un sacré bout de temps tous les jours à manger. On a des idées, des indices, mais rien d'indiscutable, malheureusement. Ceci est du au fait que les études sur l'homme sont difficiles à mener, mais également à l'évolution de notre espèce : on pourrait en effet recommander aux Himbas (
http://tinyurl.com/l9xet4) de manger beaucoup de produits laitiers pour être en bonne santé. On évitera de faire de même pour la plupart des Japonais, qui ne tolèrent pas le lait à l'âge adulte. Au cours des derniers milliers d'années, les hommes ont évolué différemment, selon l'endroit de la planète où ils vivaient. Ceci a eu un impact manifeste sur leur apparence, mais également sur leur physiologie. Peut-être que pour trouver l'alimentation idéale, il faudrait donc faire du cas-par-cas. Donnez-moi votre génome (et les génomes des micro-organismes qui vivent dans votre système digestif), et je vous dirai quoi manger.