dimanche 31 janvier 2010

Une histoire de pieds.

Pour se détendre après une dure journée de labeur, un peu de science.

Aujourd'hui, nous allons parler du travail de Daniel Lieberman, professeur à Harvard de son état. En 2004, il a publié un article dans la revue Nature qui proposait que l'homme avait évolué pour être un excellent coureur de fond.

D'où lui vient cette idée, me direz-vous ? Tout d'abord, parmi les primates, l'homme est apparemment le seul à pouvoir courir sur de longues distances, et ce assez rapidement, entre 2.3 et 6.5 mètres par seconde. Pour comparaison, un cheval de course au gallop peut atteindre 8.9m/s pendant 10km. L'homme n'est donc pas ridicule par rapport à un quadrupède de 500kgs, surtout si on se met à penser à des distances plus longues que 10km : en effet, les chevaux du poney express, qui distribuaient le courier dans les albums de Lucky Luke, avaient une vitesse moyenne journalière de 5.8m/s. Pour davantage se convaincre de la qualité de coureur de fond d'Homo sapiens, on peut la comparer à celle d'un quadrupède de poids similaire (65kgs) : ce dernier aurait une vitesse maximale de gallop de 7.7 m/s, et là encore ne pourrait maintenir une telle vitesse bien longtemps. Par contre, l'homme est capable de couvrir de grandes distances, comme des marathons, et il ne lui est pas difficile de courir 10 kms par jour. Pour comparaison, les loups voyagent en moyenne 14 kms par jour, là encore une quantité  comparable à l'homme. Enfin, la physiologie humaine semble bien adaptée à la course de longue durée, avec de longs tendons élastiques (comme le tendon d'Achille) dans les jambes pour générer de l'énergie économiquement, une voute plantaire qui agit comme un ressort, peu de poils et des glandes sudoripares à foison pour dissiper la chaleur, et la capacité de respirer par la bouche pour faciliter la respiration à haut débit. Pour conclure, l'homme est un bon coureur de fond (j'invite les fâcheux qui doutent encore à visiter ce site web où l'on voit qu'un homme peut parfois battre des chevaux sur un marathon, au pays de Galles).

Si l'homme est un bon coureur de fond, on peut alors supposer que cette qualité a été sélectionnée favorablement chez ses ancêtres : il leur était avantageux de pouvoir courir longtemps. Daniel Lieberman imagine donc que nos ancêtres chassaient des quadrupèdes dans la savane africaine en leur courant après, en une sorte de chasse à courre un peu plus équilibrée. L'idée est la suivante : l'homme n'est certes pas un bon sprinter (quatre pattes, ça donne un avantage certain à la plupart des animaux), mais comme il est quand même capable de courir raisonnablement vite pendant longtemps, il peut épuiser des proies. C'est d'ailleurs ce qui se passe pendant les chasses à courre si je ne m'abuse : à la fin, le cerf est acculé dans une mare d'eau, épuisé et en surchauffe, et l'homme n'a plus qu'à descendre de cheval pour le cueillir comme un champignon, ou presque.

Cette théorie n'est pas vraiment confirmée par l'analyse des quelques tribus qui vivent encore aujourd'hui principalement de la chasse. Dans ces dernières, la chasse ne se fait pas en courant après le gibier, mais il faut dire qu'on y utilise des arcs, sagaies et autres technologies avancées, donc c'est de la triche (de tels outils n'ont été inventés qu'il y a 40000 ans, et ça faisait déjà belle lurette qu'on avait acquis nos jambes de gazelle). Une autre théorie propose que nos ancêtres étaient des charognards, et donc utilisaient leurs qualités de coureur pour se rendre rapidement aux endroits où des animaux venaient de mourir, comme les hyènes le font aujourd'hui, mais là encore il n'y a pas beaucoup de données pour confirmer ou infirmer cette théorie.

Un test assez simple à faire serait de prendre quelques volontaires, les lâcher pas loin d'un troupeau de gnous ou de gazelles, et de voir s'ils arrivent à attraper un animal à mains nus, mais je n'ai pas connaissance qu'un tel test a eu lieu. Apparemment, cela s'est déjà vu chez des indiens d'Amérique, néanmoins.

Cette semaine, Daniel Lieberman a publié un nouvel article sur le sujet, toujours dans la revue Nature. Son idée est cette fois la suivante : les coureurs actuels, qui courent pour leur plaisir, ont souvent des problèmes liés à ce loisir, au niveau des articulations ou bien au niveau des muscles. Or nous courons avec des chaussures très sophistiquées, qui nous protègent, alors que nos ancêtres couraient probablement pieds nus. Il est probable que nos ancêtres n'avaient pas tous ces problèmes de santé dés qu'ils posaient un pied devant l'autre. Comment cela se fait-il donc ?

Pour répondre à cette question, Daniel Lieberman a étudié la façon de courir de personnes chaussées ou pas, qui avaient l'habitude de courir pieds nus ou qui ne l'avaient pas. Sa conclusion est la suivante : lorsqu'on court avec des chaussures de course, la plupart des gens posent le talon en premier, alors que lorsqu'on court sans chaussures, on évite de poser le talon en premier. En terme d'impacts, ceci se comprend : lorsqu'on pose le talon en premier, les forces de collision sont plus importantes, donc le coureur à pieds nus moyen cherche à éviter ce choc alors que le coureur en chaussures peut allègrement s'affaler sur son talon protégé par des chaussures matelassées sans souffrir.

On parle pas mal de ces travaux dans la communauté des coureurs sur internet, car on y fait l'hypothèse que peut-être, si on courait pieds nus, on aurait moins de problèmes articulaires ou musculaires, en évitant le choc sur le talon, pas totalement amorti par les chaussures. Cela reste encore à démontrer.

Pour ceux qui veulent mieux comprendre comment on court avec ou sans chaussure, voici une petite vidéo (en anglais).

Enfin, notons que Daniel Lieberman est en partie financé par Vibram, le fabriquant des chaussures "five fingers" que j'ai eues à Noël, et qui défend donc l'idée que courir sans Nike est une bonne idée...

6 commentaires:

Unknown a dit…

Ce raisonnement me semble un peu con :

"les coureurs actuels, qui courent pour leur plaisir, ont souvent des problèmes liés à ce loisir, au niveau des articulations ou bien au niveau des muscles. Or nous courons avec des chaussures très sophistiquées, qui nous protègent, alors que nos ancêtres couraient probablement pieds nus. Il est probable que nos ancêtres n'avaient pas tous ces problèmes de santé dés qu'ils posaient un pied devant l'autre."

Nos ancêtres, à l'âge où nous commençons à avoir des problèmes articulaires/tendineux/musculaires étaient le plus souvent morts ou en trop mauvais état pour se soucier de ce genre de problème.

Cela étant je suis d'accord avec le fond du propos, pour l'avoir éprouvé moi-même : je ne peux pas courir plus de 20-30 minutes avec des chaussures de sport, sans avoir un ou deux tendons en vrac au niveau du genou. Pieds nus, j'ai pu faire récememnt 1h sur sable et goudron sans problème (hormis l'écharde que j'ai encore dans le pied gauche). Bastien, tu as (enfin) un retour à donner sur les vibrams ?

BasMati a dit…

Je ne suis pas sûr que nos ancêtres étaient morts ou en trop mauvais état à l'âge où l'on commence à éprouver des "problèmes articulaires/tendineux/musculaires". Si on regarde les tribus de chasseurs/cueilleurs aujourd'hui (disons si on les regarde à la télé), on trouve sans problème des individus plus vieux que 28 ans, âge auquel certains avouent éprouver de tels problèmes. Néanmoins, Philippe, as-tu des informations fiables à partager sur ce sujet ? Je suis preneur de données scientifiques produisant une pyramide des âges pour les tribus de chasseurs-cueilleurs.
En ce qui concerne les vibrams "five fingers", je les utilise pour mon jogging du week-end, et j'utilise des chaussures de course plus classiques pour mon cours de la semaine (où l'on fait sprint, montées d'escaliers, pompes et autres joyeusetés). Ce sont des chaussures très exigentes pour les mollets, comme j'ai pu m'en apercevoir en reprenant le jogging du week-end après avoir négligé de le faire pendant environ 3 semaines : j'ai eu de grosses courbatures aux mollets.
Ceci étant dit, elles sont très légères et il est donc agréable de courir avec elles aux pieds, et si l'on court régulièrement avec, je pense que cela doit pouvoir devenir la paire de chaussures de course principale voire unique.
Un soucis cependant qui n'a pas disparu avec le temps : leur look disons peu commun, qui attire les regards alentours. Il faut aimer être le centre d'attention pour les porter.

Unknown a dit…

J'avoue bien volontiers avoir parlé de nos ancêtres du néolithique sans m'être documenté. Néanmoins, on dirait que j'ai eu du nez :

http://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9decine_dans_la_Pr%C3%A9histoire_et_la_Protohistoire#Estimations_de_l.27esp.C3.A9rance_de_vie_moyenne_des_hommes_pr.C3.A9historiques

Je maintiens sur cette base un peu frêle mon préjugé : les éventuelles douleurs musculo-squelettiques devaient être cachées derrière des caisses d'infections, de plaies, et autres traumatismes graves. Sans compter les problèmes dentaires, mec.

Merci pour le retour, les chaussures ont l'air vraiment bien.

"Il faut aimer être le centre d'attention pour les porter."

Je sais que ça te répugne, mais c'est pour le bien de tes genoux. Serre-les dents et supporte les regards subjugués sur ton passage. Avec un peu de chance, certains de tes fans n'ont pas de pomme d'adam.

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Unknown a dit…

Le lien en meilleure forme

page wikipedia

BasMati a dit…

Alors si maintenant on cite Wikipedia quand on a besoin d'un argument, tout est permis...
Je préfère pour ma part citer cette autre page, dont je n'ai aucune idée de la fiabilité : ICI.
Pour les feignants, on y dit qu'il est difficile d'estimer l'espérance de vie d'une population passée, et on y donne un exemple censé tordre le cou à l'idée selon laquelle on mourait jeune au moyen-âge.
Plus sérieusement, voici un autre argument : si la mortalité infantile est énorme, du genre 50% avant la puberté, alors on peut obtenir le type de chiffres cités sur la page wikipedia, sans pour autant que la pyramide des âges soit tronquée précocément pour les plus vieux. Et une forte mortalité infantile me semble probable, tout en n'ayant aucun impact sur le problème qui nous intéresse.
Bref, pour conclure, je ne suis toujours pas convaincu qu'il n'y avait pas d'adultes âgés durant la préhistoire, du moins suffisamment âgés (25-30 ans, ça peut être suffisant) pour avoir quelques douleurs articulaires.