Le malfaiteur a commis le crime suivant : il a contaminé ses partenaires sexuels avec le SIDA. Dans le cas présent, ceci est bel et bien un crime d'après la loi américaine, car le malfaiteur savait qu'il avait le SIDA, mais mentait aux femmes qu'il séduisait, et parvenait à ne pas mettre de préservatif lorsqu'il avait des relations avec elles. 6 femmes ont ainsi acquis le virus suite à ces relations disent-elles, se sont regroupées, puis ont porté plainte contre le malfaiteur. Grâce aux preuves apportées par mon collègue, le criminel a été condamné, et encourt une peine de prison de 99 ans.
Le problème qui se posait à la justice était le suivant : les 6 femmes ainsi que l'accusé ont tous le virus du sida (appelons-le HIV), mais comment être sûr que c'est bien cet homme-là qui les a infectées, et pas d'autres hommes avec qui elles auraient pu avoir d'autres relations ? Pour le savoir, il faut pouvoir comparer les virus présents chez l'accusé aux virus présents chez les 6 femmes. C'est alors là que mon collègue intervient : il est un spécialiste de phylogénie moléculaire (comme tout le monde au labo !), ce qui signifie qu'il peut retracer l'histoire des espèces à partir des séquences de leurs génomes. Dans le cas présent, il s'est donc attaché à retracer l'histoire des virus du SIDA présents chez l'accusé et les 6 femmes, afin de voir si ces six femmes ont obtenu leurs virus de cet homme-là et non d'un autre.
Pour ce faire, on a prélevé des virus chez l'homme et les six femmes, on a séquencé leurs génomes, puis mon collègue Jeremy a reconstruit leur histoire.
Il a alors obtenu le résultat suivant, qui est un arbre phylogénétique construit à partir du gène Env du HIV :
Expliquons un peu : un arbre phylogénétique est comme un arbre généalogique. A gauche, se situe la "racine" de l'arbre, donc le point le plus ancien dans l'arbre. Ce point correspond à une souche de HIV qui a donné naissance à tous les virus présents dans l'arbre : c'est l'arrière-arrière... grand-père de tous nos virus. Les virus recueillis chez les 6 femmes ainsi que chez l'homme ont été colorés en fonction de leur origine (les six femmes et l'homme sont en bleu, violet, rouge, bleu clair, jaune, vert, orange), et nommés de sorte que Jeremy ne pouvait pas savoir quel échantillon correspondait à l'accusé. Les échantillons nommés CC08 correspondent aux virus d'une septième femme qui a porté plainte plus récemment, en entendant parler du procès dans les médias. Les virus nommés "outgroups" ont été recueillis chez d'autres patients, non connectés au procès. Ces virus sont donc de lointains cousins, leur rôle est simplement de servir de point de comparaison. A un triangle coloré correspond un grand nombre de séquences qui se ressemblent et qui proviennent de la même source.
Lisons cet arbre phylogénétique dans l'ordre, en commençant par le point le plus ancien de l'arbre, la racine. D'un côté nous avons les séquences dites "outgroups", qui ne nous intéressent pas. De l'autre, toutes les séquences liées au procès. Le premier événement que l'on observe est la séparation de toutes les séquences appartenant à notre rajoutée de dernière minute. Les séquences de cette femme sont donc différentes de toutes les autres, et ont été séparées des autres séquences depuis longtemps. Cela signifie que cette femme a été infectée par le virus du sida il y a longtemps, puis qu'ensuite ses virus sont restés tranquillement chez elle, et ne sont pas allés infecter d'autres personnes parmi les 7 autres individus étudiés. Laissons désormais cette femme de côté et concentrons-nous sur les 7 autres groupes de séquences. On constate que toutes les séquences issues des individus étudiés sont regroupées ensemble en de jolis triangles, à l'exception des séquences notées CC07 en violet, et des séquences notées CC01 en rouge. Les séquences notées CC07 sont tout de même groupées ensemble, si on les compare aux séquences CC01 rouges, qui elles sont éparpillées un peu partout dans l'arbre. Cela veut dire que parmi les virus de l'individu CC01 on trouve les virus "frères" des virus qui ont infecté l'individu CC02, mais aussi les "frères" des virus qui ont infecté l'individu CC06, et de même les "frères" des virus qui ont infecté l'individu CC03. On en déduit donc que l'individu CC01 a infecté les individus CC02, CC06, et CC03.
Après analyse, Jeremy a appris que l'individu CC01 est l'accusé. C'est donc lui qui a contaminé 3 des six femmes. Comme les analyses faites par Jeremy d'autres gènes du génome des virus le montrent, il a aussi contaminé les 3 autres femmes. Il a peut-être aussi contaminé la rajoutée de dernière minute, mais les analyses ne permettent pas d'en être sûr.
Voici donc un exemple d'utilisation de la phylogénie moléculaire à des fins judiciaires. C'est également un exemple qui montre que la théorie de l'évolution est utile dans la vie courante.
2 commentaires:
alors je n'ai pas tout compris, mais de toute façon, je me doutais bien que ce que vous faisiez n'était pas rien !!! (sinon j'aurai tout compris !!!) bizz a vous !
C'est gentil de nous donner a priori le bénéfice du doute.
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